Les Canala à l'exposition coloniale : Les Sources.

 

Lettre au ministre


Source :C.A.O.M., Affaires politiques, carton 288.
Cité dans Joël Dauphiné : Canaques de La Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931.

 

Lettre de Paul Leyraud au ministre des Colonies, Saint-Gaudens, 20 octobre 1931.

Monsieur le ministre,
Le 12 septembre dernier vous avez bien voulu m’accorder audience, au cours de laquelle je vous ai communiqué un cable relatif aux indigènes, venus de Nouvelle-Calédonie, pour figurer à l’ Exposition, et me réclamant la date d’embarquement retour de ces indigènes. Vous m’avez demandé de vous laisser ce cable pour étude de la question et décision. Le 28 septembre je vous ai écrit pour vous demander réponse. Il y a quelques jours, à Paris, j’ai téléphoné à votre cabinet posant la même question et je suis toujours sans réponse. Je ne puis moi –même cabler pour que les familles de ces indigènes soient averties de leur sort et là-bas il doit avoir impatience.
Vous savez dans quelles conditions ces canaques se sont embarqués ; ils ont été trompés et ils ont aigreur. Ils peuvent bientôt tout travail et je crains des répercussions futures. Non pas la révolte ouverte, mais une résistance passive pour un long avenir. Ce ne sera plus la domicile d’antan et le dévouement. Ils ne seront pas blâmables et cependant il adviendra que colons et administration éprouveront les conséquences de cette résistance passive. Au moment des récoltes, alors que la main-d’œuvre temporaire est nécessaire ils invoqueront qu’ils sont eux-mêmes planteurs. Les colons qui actuellement plaident pour les canaques, non pas en égoïstes et en vue de l’avenir que je vous signale, mais par esprit de justice, seront déçus et aigris à leur tour. Le nouveau Gouverneur que vous envoyez aura des difficultés. Ca ira mal à tous points de vue. Ce que je dis est réaliste, basé sur ma connaissance des indigènes ; ils n’ oublient pas facilement.
Croyez bien que ce n’est pas à cause de ces préoccupations d’avenir que j’interviens ; elles n’existaient pas au début. Il importe d’abord qu’ils aient satisfaction, au point de vue moral simplement. Ces gens –là sont venus pour huit mois, il faut tenir parole. Tout le reste n’existe pas.
Ne croyez pas qu’ils tiennent à visiter le Midi ou les veilles. Ils réclament leur liberté, leur soleil, leur cocotiers et surtout leur familles. Et puis je crains l’hiver pour eux. Ils ne savent pas, sont imprudents, et la tuberculose arrivera finalement. Ils la sèmeront au retour dans les tribus. C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander d’intervenir, de prendre la décision indispensable : le retour. Vous êtes le grand « protégeant » et ils ont foi en vous. Je vous en prie, dise la date de leur départ.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments dévoués et respectueux.
Signé :
Paul Leyraud

Source :C.A.O.M., Affaires politiques, carton 288.
Cité dans Joël Dauphiné : Canaques de La Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931.