Les Canala à l'exposition coloniale : Bilan
Bilans des enseignants
L'exposition coloniale de 1931, pour un Français,
c'est quoi ? Pas grand chose, une « foire » à la gloire de
l'empire colonial.
Le livre « Cannibales » de Didier Daeninckx fut le déclencheur
de ce projet. Il a le mérite de nous avoir appris une partie de l'histoire
coloniale. Quand on lit ce roman, on a le sentiment que ce n'est pas possible,
pas possible d'avoir enfermé des hommes dans un zoo, pas possible de
les avoir présentés comme des Cannibales, ce n'est pas possible
!
C'est ce choc, cette honte qui nous ont amenés à initier ce travail.
Les premières séances avec les élèves nous ont tout
de suite montré l'intérêt de ce travail. Les faits étaient
quasiment inconnus. La parole n'était pas passée vers les enfants.
Un sondage en début d'année a indiqué que la quasi totalité
des élèves ne connaissaient absolument rien des faits. On ne leur
avait rien dit, rien raconté. Pourtant, beaucoup sont les descendants
de ceux qui sont partis, certains portent même leurs prénoms. Alors
pourquoi l'Histoire n'est-elle pas passée ? Pourquoi la parole n'a-t-elle
pas été transmise ? Trop ancien ? Trop douloureux ? Trop honteux
?
C'est pour aider à ce travail de mémoire que nous avons mené
ce projet.
Que retenir de cette année de travail ?
D'abord des faits et rien que des faits :
- Le scandale a existé :
o la Fédération Française des Anciens Coloniaux soutenue
par le gouverneur de l'époque a exploité le groupe de Kanak dont
elle avait la charge.
o Elle les a présentés comme des cannibales pour attirer le public.
o Le groupe des Canala fut envoyé en « tournée » dans
des zoos allemands.
o Les Canala furent maltraités et bien souvent ridiculisés.
o Il a fallu que des hommes politiques, d'Eglise, et la presse s'en mêlent
pour obtenir leur retour.
- Mais les soutiens furent nombreux en France :
o Dès le début, la ligue des droits de l'Homme propose son aide.
o Dès le début, des hommes d'Eglise, dont le pasteur Leenhardt,
interviennent en faveur des Kanak.
o Dès le début, des journalistes, des intellectuels dénoncent
les faits.
o Des anonymes leur viennent en aide.
- Mais les soutiens furent nombreux aussi en Nouvelle-Calédonie :
o Des conseillers généraux accusent et s'inquiètent.
o Un colon blanc, M. Millet, écrit directement au gouverneur pour réclamer
leur retour.
o La presse locale ne tait pas les faits mais les dénoncent.
- Et l'Etat Français a réagi assez rapidement :
o Le ministre interdit dès juillet 1931 ce type d'exhibitions.
o Le gouverneur est mis à la retraite de manière anticipée.
- Enfin, certains souvenirs, certains témoignages, semblent montrer que,
malgré tout, les Canala se sont adaptés :
o Certains ont acquis en Europe des savoir-faire, des techniques qu'ils ont
réutilisés.
o Certains ont lié dans l'Allemagne pré-nazie de 1931 des amitiés
durables
o Certains ne sont rentrés que beaucoup plus tard.
Voilà ce qui en est de la vérité historique, un scandale
organisé par quelques hommes cupides, et des réactions variées
pour libérer des hommes. Ces derniers ne gardant pas forcément
que des mauvais souvenirs de ce voyage.Ce simple bilan historique, nous permet
de voir que la « vérité » n'est pas simple à
établir, ce n'est pas celle du roman de Daeninckx, ce n'est pas non plus
celle consistant à dire que l'époque était raciste et que
la France était colonialiste. Rien n'est simple, il n'y avait pas d'un
côté les méchants blancs et de l'autre les gentils Kanak.
L'empire français est certes à son apogée, mais on est
loin de l'époque de Jules Ferry et de ses discours racistes et colonialistes,
parmi les Français, même en 1931, beaucoup refusaient de telles
exhibitions. L'Histoire est avant tout des histoires d'hommes et de rencontres.
Des histoires d'hommes et de l'émotion
Ce sont d'ailleurs ces histoires d'hommes que nous retiendrons de ce travail.
Des histoires, des souvenirs, des moments de rencontres et d'échanges.
Nous retiendrons la qualité de l'écoute des élèves,
l'effort de clarté et de précision des témoins, leur volonté
d'être fidèle à la mémoire de leurs pères,
mais aussi de ne pas dramatiser les faits de ne pas envenimer les relations
entre les Kanak et les Blancs. Cette tension était palpable chez tous.
Nous nous souviendrons des exclamations de nos élèves quand Gilbert
a raconté l'échange avec les crocodiles.
Nous nous souviendrons de l'accueil d'Adèle et de Valentin, du rire d'Adèle
quand elle parlait de la copine allemande de Samuel, de sa colère aussi,
Nous nous souviendrons aussi des rencontres avec Marc, avec Patrice, tous ces
moments où l'émotion est palpable où les enfants sont attentifs
à chaque parole, à chaque mot.
Le rôle de nos témoins n'étaient pas faciles, qu'ils soient
particulièrement remerciés.
Enfin, nous nous souviendrons d'Antonin Poindi Nehity, Antonin nous a quittés
avant la fin de ce travail, il n'a pas pu voir l'exposition. Nous nous souviendrons
donc particulièrement de lui, petit homme fragile et déjà
malade qui avait tenu à venir au collège parler de son oncle.
Je me souviendrais du long moment assis devant sa maison à Ema, à
l'écouter en regardant la vallée. Il n'avait pas voulu tout dire,
il avait envie, mais ne se sentait pas le droit de tout dire
L'Histoire sera toujours des histoires d'hommes et de rencontres.
Marie-Jeanne et Hervé Bois, 17 mars 2005